Programme Mégafaune aux Chesterfield : une première expédition dédiée aux requins et cétacés
21 août 2025

Le programme Mégafaune est lancé : la première mission scientifique dédiée aux cétacés et aux grands requins s’est déroulée du 7 au 23 juillet 2025, dans les eaux des récifs Chesterfield. Objectif : affiner les connaissances sur ces espèces emblématiques du parc naturel de la mer de Corail… pour mieux les protéger.
La mission « Mégafaune RC1 », menée à bord du catamaran Nautilus 360, a marqué le coup d’envoi des volets requins et cétacés de l’ambitieux programme de suivi de la mégafaune du parc naturel de la mer de Corail. Pendant deux semaines, sept scientifiques dont Florian Baletaud[1] (IRD), Sylvain Roblet (université Côte d’Azur), Léocadie Jamet (IRD), Mickaël Tonnelier (Opération Cétacés), Simon Élise (Reef Pulse) et Sahira Bell (SeaCountry Solutions), ont exploré les récifs Chesterfield, classés en réserves naturelle et intégrale, et considérés comme un sanctuaire pour ces espèces. Cette équipe pluridisciplinaire encadrée par deux chercheurs de l’IRD - Solène Derville (spécialiste des cétacés) et Laurent Vigliola (spécialiste des poissons) -, a combiné acoustique marine, génétique et écologie comportementale pour dresser un état des lieux inédit. Ces travaux devraient permettre d’identifier les zones clés et d’adapter les mesures de protection du Parc.
Une traversée optimisée !
Le trajet entre Nouméa et le plateau des Chesterfield (558 km parcourus en 56 heures) a été mis à profit pour réaliser les premières observations en « transect linéaire[2] » de cétacés et d’oiseaux marins. Les scientifiques du bord se sont relayés, deux par deux, pour assurer un suivi en continu, à bâbord et à tribord.
Les observations ont été enregistrées selon le protocole utilisé dans les campagnes MARACAS[3], en prenant soin de noter les conditions d’observation. Dans les eaux peu profondes des bancs de Fairway et Lansdowne, trois groupes de baleines à bosse (cinq individus en tout) et un globicéphale ont été observés et photographiés, et leur positions, cartographiées. Tout au long du trajet, quelque 141 observations de fous, sternes, frégates, noddis, pétrels et puffins ont également été relevées autour du bateau.
Voir, entendre, analyser les baleines
« Une fois sur le plateau de Chesterfield, l’équipe Cétacés a favorisé un travail depuis le semi-rigide lorsque les conditions météo le permettaient ou depuis le pont supérieur du bateau lorsque le vent était supérieur à 20 nœuds » explique la cheffe de mission pour l’équipe Cétacés, Solène Derville. « Une trentaine d’écoutes sous-marines ont été réalisées à intervalles réguliers pour détecter les chants ou bruits produits par des cétacés. Lorsqu’un groupe était repéré en surface, il était approché et suivi, afin de collecter des échantillons de tissu par biopsie (peau et gras), à l’aide d’une arbalète, et photographié pour permettre une future photo-identification. »
Trois groupes de baleines à bosse ont ainsi pu être étudiés dans le « V » des Chesterfield. Cinq individus ont été biopsiés et la caudale de trois d’entre eux a pu être photographiée, ouvrant la possibilité de les suivre individuellement.
Mais surprise du côté de Bampton et Reynard : contrairement aux attentes, les baleines à bosse n’étaient pas au rendez-vous au nord du plateau, alors qu’à la même période, de nombreuses baleines étaient observées par les opérateurs touristiques dans le lagon sud-ouest de la Grande Terre. Un contraste marquant avec les campagnes MARACAS réalisées dans la même zone en août 2016, 2017 et 2021, mais qui confirme l’importance de poursuivre les études pour comprendre cette répartition.
Des résultats préliminaires prometteurs
Au cours de cette mission, plus de 60 heures d’étude ont été réalisées, soit près de 667 kilomètres parcourus sur site. Elles laissent penser que le « V » des Chesterfield, au sud du plateau, reste une zone attractive pour les baleines à bosse.
L’analyse des détections acoustiques réalisées grâce aux stations d’hydrophones PAM[4] situées au nord (à Bampton) et au sud (au large de l’île Longue) sera particulièrement intéressante pour mieux comprendre les routes migratoires, les habitats et la distribution des baleines à bosse et d’autres espèces de cétacés répertoriés dans la zone par le passé tel que le grand dauphin de l’Indo-Pacifique. Combinées aux détections potentielles par ADN environnemental (ADNe)[5], les données acoustiques permettront d’inventorier les cétacés passés visuellement inaperçus durant la mission.
Les grands requins à la loupe
L’ADNe est également traqué pour le suivi des grands requins : les recherches ont débuté dès l’arrivée sur les récifs de Chesterfield par une première filtration d’ADNe. « Lors d’une journée de travail classique l’équipe réalise trois filtrations d’ADNe dans trois habitats distincts - la pente externe du récif, l’arrière-récif et le milieu de lagon », explique Laurent Vigliola, responsable du volet Requins du programme Mégafaune.
Lors des journées suivantes, deux méthodologies différentes ont été déployées en parallèle : la stéréo-vidéo appâtée (Stereo BRUV)[6] et la pose d’hydrophones Vemco[7] et PAM, en plongée.
Vingt-trois Stereo BRUV ont été déployés pendant deux heures, entre 20 et 25 mètres de profondeur. Dix hydrophones Vemco ont été positionnés sur 20 mètres de profondeur au milieu des passes ou autour des îlots. Quatre hydrophones PAM couplés à des Vemco ont également été fixés à 15 mètres de profondeur sur support béton.
Au total, l’équipe « Grands requins » a collecté 24 échantillons d’ADNe et réalisé plusieurs cartes mettant en évidence la répartition spatiale de l’effort d’échantillonnage.
Les données collectées (vidéos, ADNe, enregistrements acoustiques) seront analysées en 2026. Une nouvelle mission est prévue en juillet prochain pour récupérer les hydrophones et poursuivre les suivis.
Les récifs Chesterfield jouent un rôle clé dans la migration des baleines à bosse et la préservation des requins. Dans ce contexte, le programme Mégafaune aidera à identifier les zones critiques et à ajuster les mesures de protection, dans le cadre du futur plan de gestion du Parc.
Le programme de suivi de la mégafaune du parc naturel de la mer de Corail a reçu le soutien financier de l’État, à hauteur de 89 millions de francs CFP, via le Fonds vert et le programme France nation verte, et celui de l’Office français de la biodiversité, à hauteur de 72,8 millions de francs CFP. Il est conduit et cofinancé par le service du parc naturel de la mer de Corail et de la pêche du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, en partenariat avec l’Institut de recherche pour le développement et le WWF - Fonds mondial pour la Nature - France.
Ce programme s’étend jusqu’en décembre 2027.
Pour en savoir plus sur le programme Mégafaune, cliquez ici.
[1] Membre du projet AIME (Intelligence artificielle pour les écosystèmes marins).
[2] Méthode d'estimation des populations d'animaux sauvages basée sur l’observation le long d'une ligne prédéterminée.
[3] MARine mAmmals of the CorAl Sea (2016-2021), projet WHERE, campagne scientifique consacrée à l’acquisition de connaissances sur le comportement et les habitats des baleines à bosse (écologie, biologie moléculaire, bioacoustique, télémétrie satellitaire et modélisation statistique spatiale) - IRD, en partenariat avec le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le WWF, la DAFE et Opération Cétacés.
[4] Passive Acoustic Monitoring, « Surveillance acoustique passive » pour détecter les sons sous-marins et notamment ceux produits par les cétacés.
[5] Fragments d’ADN issus des matières organiques (cellules mortes, mucus, excréments), identifiés dans un échantillon d'eau, prouvant la présence récente d’un animal.
[6] Stereo Baited Remote Underwater Video, « vidéo sous-marine à distance appâtée », voir encadré.
[7] Télémétrie acoustique d'animaux marins. Les hydrophones immergés permettent la détection et le suivi précis des animaux équipés de balises acoustiques. Ces balises transmettent des identifications uniques ainsi que des données provenant de divers capteurs, telles que l'accélération et la température.
Souriez, vous êtes filmés
Requin-tigre aux prises avec un hydrophone (c) Sylvain Roblet.
La stéréo-vidéo sous-marine appâtée (S-BRUV) est un système utilisé en recherche en écologie marine. Elle repose sur l’utilisation synchronisée de deux caméras permettant de produire une image en trois dimensions. Elle permet par triangulation d’obtenir une estimation précise de la taille de chaque individu et de mesurer les distances. En attirant les poissons dans le champ de vision de deux caméras en stéréo, cette technique enregistre la diversité, l'abondance, la taille et le comportement des espèces. Les sites sont échantillonnés par enregistrement vidéo de la zone entourant une boîte appâtée, descendue au fond depuis un navire de surface ou, plus rarement, par un submersible ou un véhicule sous-marin télécommandé. La vidéo peut être transmise directement à la surface ou enregistrée pour analyse ultérieure.
Les caméras appâtées sont très efficaces pour attirer les requins et constituent une méthode non invasive pour mesurer l'abondance relative d’un certain nombre d'espèces marines. Cette technique permet de comprendre l'évolution du nombre et de la diversité des poissons avec un faible impact environnemental. Les S-BRUVs ont été développés en Australie par l’Australian Institute of Marine Science et sont désormais utilisés dans le monde entier pour divers projets.
Cette technologie et les autres sources d'information déployées, comme la « Surveillance acoustique passive » pour détecter les sons sous-marins et les hydrophones immergés permettant le suivi des animaux équipés de balises acoustiques, sont de réels atouts pour la détection et l'identification des espèces étudiées.