Walpole, laboratoire de la reconquête écologique

23 mai 2025

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Des falaises abruptes, un vaste plateau où nichent au bas mot neuf espèces d’oiseaux marins, un reptile endémique, une histoire oubliée : Walpole le joyau écologique que les espèces envahissantes menacent. Cliché: Squale Odyssey.

Des falaises abruptes, un vaste plateau où nichent au bas mot neuf espèces d’oiseaux marins, un reptile endémique, une histoire oubliée : Walpole le joyau écologique que les espèces envahissantes menacent. Cliché: Squale Odyssey.

L’Amborella a appareillé ce mardi 20 mai à destination de Walpole pour une première mission de terrain. Objectif : amorcer la phase de préfiguration d’un ambitieux programme de restauration écologique visant à préserver la biodiversité exceptionnelle de l’île. Cette collaboration entre le service de parc naturel de la mer de Corail et de la pêche et l’Institut de recherche pour le développement est financée par l’État à travers le Fonds vert et le programme France Nation verte, par l’Office français de la biodiversité et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Isolée au sud-est du parc naturel de la mer de Corail, l’île de Walpole, aujourd’hui déserte et classée réserve naturelle depuis le 1er janvier 2024, s’apprête à vivre une nouvelle phase de son histoire tourmentée. Difficile d’accès, balayée par les vents, cette île haute de 170 hectares abrite une biodiversité exceptionnelle, mais aujourd’hui fragilisée.

Depuis le 20 mai 2025, une équipe de l’IRD, du SPNMCP et de Bird Conservation NC s’est mise en route pour lancer la phase de préfiguration d’un vaste programme de restauration écologique. L’enjeu est de taille : restaurer un écosystème insulaire unique, où cohabitent des reptiles, dont le scinque micro-endémique, Epibator insularis, décrit en 2019, au moins neuf espèces d’oiseaux marins nicheurs – dont les fous à pieds rouges, les noddis noirs ou encore deux espèces de paille-en-queue.. L’île et son environnement marin proche sont d’ailleurs reconnus comme une « zone importante pour la conservation des oiseaux ».

Lutter contre les espèces envahissantes

Cette richesse est menacée par trois espèces invasives majeures : le rat du Pacifique, la fourmi électrique et le faux mimosa (Leucaena leucocephala). Elles ont été introduites, volontairement ou accidentellement, à différentes périodes, à l’occasion de la fréquentation de l’île par l’homme, comme par exemple le faux mimosa lors de l’exploitation du guano de 1916 à 1942. Aujourd’hui, ces espèces perturbent gravement l’équilibre écologique de l’île, en menaçant les espèces natives végétales et animales et en modifiant la dynamique des écosystèmes.

C’est pour inverser cette tendance que le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, en partenariat avec l’IRD, a lancé un programme en deux temps. La première phase, qui durera deux ans et demi, vise à diagnostiquer précisément l’état écologique de Walpole, à tester des protocoles de lutte contre les espèces invasives et à préparer le terrain pour des interventions plus lourdes.

Si la lutte contre les rongeurs est un exercice maîtrisé (et réussi : sur l’île de la Surprise, par exemple), venir à bout de la fourmi électrique dont la progression atteint 20 mètres par an ou du faux mimosa – qui couvre un quart du plateau – constitue un défi de taille. La phase de restauration sera donc probablement longue et complexe.

Une mission de préfiguration

La mission inaugurale, menée à bord de l’Amborella, le navire multimission de la Nouvelle-Calédonie, doit permettre d’actualiser les données sur la surface d'expansion de la fourmi électrique ; de mettre en évidence l'impact de cette invasion et de l’expansion du faux mimosa sur l'habitat des oiseaux marins et du scinque Epibator insularis ; et de confirmer la présence de deux espèces rares d'oiseaux marins suspectées nicher à Walpole (voir encadré). L’opération doit en outre permettre de sécuriser l’accès – les falaises de Walpole s’élèvent de 70 à 80 au-dessus du niveau de la mer –, d’aménager et de baliser des sentiers sans conséquence pour les espèces à protéger, mais aussi d’évaluer toutes les difficultés à anticiper pour le bon déroulement des opérations futures.

Six missions programmées

Courant 2025, puis en 2026, de nouvelles missions auront pour but d’installer un bivouac pour la conduite des opérations sur plusieurs semaines, de cartographier l’île par drone pour réaliser un modèle numérique de terrain, et de déployer les premiers outils de suivi scientifique. Des pièges photo, enregistreurs acoustiques et relevés au sol serviront à mieux cerner la présence des espèces envahissantes ciblées et les dernières populations de certaines espèces rares et menacées. Les expéditions à venir permettront d’affiner les connaissances sur la biodiversité de l’île, d’évaluer l’abondance des espèces invasives et de tester des stratégies d’intervention innovantes, avant d’établir un protocole d’éradication. Des expériences seront notamment menées pour observer l’évolution des fourmis après éradication des rongeurs dans des zones tests, ou encore pour analyser la banque de graines du sol dans les secteurs dominés par le faux mimosa.

Phase 2 : la restauration

Cette approche méthodique vise à garantir le succès des futures opérations de restauration active, prévues dans la seconde phase du projet, pour laquelle il faudra confirmer les coûts et trouver des soutiens financiers. Celles-ci prévoient l’éradication des espèces invasives, la restauration de la végétation native, notamment par la replantation, ou encore des actions ciblées pour renforcer les populations d’oiseaux marins qui sont la vraie richesse de l’île (voir encadré). Des recherches bibliographiques historiques et paléo-écologiques sont prévues pour caractériser les écosystèmes et la biodiversité de référence (avant la période d’exploitation du guano). L’ensemble des données et analyses permettra le dimensionnement et le chiffrage des opérations de restauration à réaliser lors de la seconde phase, en lien avec des spécialistes locaux et internationaux.

Les fouilles archéologiques ayant révélé la présence de campements très anciens, les savoirs et représentations autochtones associés à cette île ne sont pas négligés : des échanges réguliers vont être engagés avec les coutumiers, les anthropologues et les archéologues, qui seront pleinement associés au groupe de travail qui sera mis en place prochainement autour de cet ambitieux projet.

Porté par une volonté de collaboration de l’IRD et du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, ce programme pourrait rejoindre l’initiative mondiale Island-Ocean Connection Challenge, qui vise à restaurer 40 grandes îles du globe.

Pour la Nouvelle-Calédonie, la restauration écologique de Walpole est plus qu’un défi : c’est une vitrine de son engagement pour la biodiversité, une démonstration de ce que la science et les gestionnaires du parc naturel de la mer de Corail peuvent accomplir, ensemble, pour la sauvegarde de ce patrimoine pluriel.

 

Les oiseaux marins, le trésor de Walpole

La phase de préfiguration du programme de restauration écologique de Walpole doit permettre de mieux identifier et quantifier les populations d’oiseaux marins. Leur présence en nombre au fil des siècles a provoqué une importante accumulation de guano : cet amas d’excréments, riches en composés azotés, dont on tirait autrefois un fertilisant pour les terres agricoles, jusqu’à l’invention des engrais chimiques. Une richesse dont l’exploitation industrielle a provoqué le déclin écologique de l’île, par la destruction des habitats naturels,  mais également par l’introduction d’espèces envahissantes, comme le faux-mimosa planté volontairement à cette époque pour servir de fourrage. L’introduction du rat du Pacifique sur Walpole remonterait aux périodes plus anciennes de fréquentation de l’île par les populations mélanésiennes et polynésiennes. Quant à la fourmi électrique, elle a été introduite accidentellement en 1994 lors de l’installation d’un stock de carburant destiné à la surveillance par hélicoptère de cette partie de la zone économique exclusive. Fourmis électriques, rongeurs et faux mimosa ont un impact négatif sur la plupart des espèces d’oiseaux nicheurs (dérangement, destruction des œufs, modification du milieu, etc.).

Les données collectées lors de missions précédentes font état de neuf espèces bien installées à Walpole dans des proportions variables : fou brun Sula leucogaster, fou à pieds rouges Sula sula, frégate du Pacifique Fregata minor, frégate Ariel Fregata ariel, noddi brun Anous stolidus, noddi noir Anous minutus, phaéton à brins rouges Phaethon rubricauda, phaéton à bec jaune Phaethon lepturus, et gygis blanche Gygis alba.

Les spécialistes des oiseaux marins à l’IRD suspectent en outre la présence d’espèces plus rares, comme le Pétrel de Kermadec Pterodroma neglecta.

Enfin, les grandes falaises de l’île « pourraient constituer des zones refuges potentielles pour l’Océanite tempête de Nouvelle-Calédonie Fregetta lineata et l’Océanite à gorge blanche Nesofregetta fuliginosa », toutes deux classées en danger d’extinction. Des prospections spécifiques avec des méthodologies adaptées sont envisagées par l’IRD et Bird Conservation NC pour confirmer la présence de ces deux espèces, dès cette première mission.

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