Suivi des oiseaux marins : un enjeu d’envergure pour le Parc

24 janvier 2024

Science

 Les îles du Parc sont caractérisées par la présence de milliers d’oiseaux. Le caractère isolé de ces sites leur permet de ne pas être dérangés par l’homme. Photo Léa Carron - SPNMCP

Les îles du Parc sont caractérisées par la présence de milliers d’oiseaux. Le caractère isolé de ces sites leur permet de ne pas être dérangés par l’homme. Photo Léa Carron - SPNMCP

Du 24 janvier au 13 février 2024, une équipe de chercheurs conduite par l’IRD mène une mission d’étude et de suivi des oiseaux marins des îles Chesterfield et d’Entrecasteaux. Cette seconde campagne destinée à produire un « état de référence » en saison chaude doit compléter les observations réalisées l’année dernière en saison fraîche, afin de couvrir les différentes périodes de reproduction des oiseaux. Elles permettront, au fil des futures missions de suivi, une meilleure connaissance de ces espèces.

Les îles coralliennes du Parc abritent une palette singulière de plantes et d'animaux… dont certaines des plus grandes colonies d'oiseaux de mer tropicaux au monde (puffins du Pacifique, sternes fuligineuses…). Des études récentes (voir mission Cacao) ont souligné le rôle essentiel que jouent les populations d'oiseaux marins dans le maintien de la santé des récifs : on sait désormais que par leurs fientes, les oiseaux augmentent la concentration d’azote et de nutriments bénéfiques aux récifs alentours, dont les oiseaux dépendent pour leur alimentation. De ce fait, le lien entre populations d’oiseaux et récifs coralliens est très étroit : de la bonne santé des uns dépend celle des autres. Lorsque les populations d’oiseaux déclinent sur un îlot, c’est toute la vie marine et terrestre qui se trouve impactée, avec des conséquences en cascade. Hélas, de nombreuses menaces pèsent sur cet équilibre fragile : l’accélération de l’érosion côtière, les espèces exotiques envahissantes, les perturbations humaines, la pollution plastique, le changement climatique… pour ne citer que celles-ci.

Eric Vidal

Collecter des informations

Au même titre que les récifs coralliens qui reçoivent une attention soutenue de la part de la communauté scientifique, les oiseaux marins constituent donc une cible importante en matière de conservation. Dans un contexte de changement climatique, les oiseaux marins des îles coralliennes apparaissent comme des communautés pertinentes à étudier pour assurer la sauvegarde de tout l’écosystème. D’autant « que les espèces dont la population est importante et la distribution étendue détiennent probablement le plus grand potentiel pour soutenir la résilience écologique des écosystèmes insulaires tropicaux » souligne Éric Vidal (notre photo), directeur de recherche à l’IRD, au sein de l’unité mixte de recherche (UMR) Entropie, et coordinateur du projet. « Du fait de leur isolement, de leur dispersion géographique et des difficultés d’accès, les communautés d’oiseaux marins des îles coralliennes du parc naturel de la mer de Corail étaient jusqu’à récemment très imparfaitement connues et peu étudiées. » En effet, ces communautés ne bénéficiaient pas de suivis réguliers dédiés, mais essentiellement d’observations opportunistes réalisées au cours des missions de suivi « tortues » conduites quasi annuellement depuis 15 ans.

Consolider le protocole de suivi

Dans le cadre d’une convention établie entre l’IRD et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, un programme de travail a été établi pour mieux connaître les populations d’oiseaux marins sur les îles coralliennes du Parc. Ce partenariat a permis de définir une méthodologie précise. Celle-ci nécessite d’établir, au préalable, un « état de référence », qui servira de base de comparaison aux observations futures. Cet « état de référence » est réalisé grâce à deux campagnes scientifiques conduites l'une en saison fraîche (réalisée en juillet 2023 à bord de l’Amborella) et l'autre en saison chaude (celle qui débute ce 24 janvier 2024, à bord du Te Fetia), afin de couvrir les différentes périodes de reproduction des oiseaux. Les observations de ces deux campagnes ciblent les colonies d’oiseaux des Chesterfield (notamment les îlots Loop, Mouillage, Longue, Passage, Bampton et Reynard), et d’Entrecasteaux (les îlots Huon,  Surprise, Fabre et Le Leizour). Elles ciblent les espèces présentes, les effectifs reproducteurs, la distribution sur les différentes îles, les périodes de reproduction, les menaces, etc. Au programme de la mission qui débute ce 24 janvier : recensement des oiseaux marins, cartographie par imagerie drone et prélèvement d'échantillons sur les oiseaux selon des protocoles garantissant le moindre impact sur la faune et la flore.

Construire une base de données

Les données ainsi obtenues doivent permettre de conduire des suivis adaptés et pertinents des populations d’oiseaux marins au sein des îles coralliennes du Parc, a priori tous les trois ans. L’équipe scientifique composée de chercheurs de l’IRD, du CNRS et de l’université de la Nouvelle-Calédonie, souhaite inventorier les espèces d’oiseaux marins en reproduction sur l’ensemble des sites visités afin d’établir la richesse spécifique à chaque îlot ; déterminer le nombre de couples reproducteurs et leur répartition sur les îlots en fonction des conditions de nidification ; observer le rythme de reproduction des colonies et son lien avec le climat ; comparer les recensements d’une même colonie par comptage au sol et par relevé aérien (sur les photographies prises par drone). Les informations standardisées intégreront une base de données, agrégeant 30 ans d’observation et pouvant être complétées au fil des futures missions « oiseaux ».

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Ces expéditions seront répétées tous les trois ans. Ainsi, ces données triennales récoltées en routine fourniront des informations précieuses aux gestionnaires du service du  Parc et au comité de gestion, en charge d'établir les priorités pour mieux protéger la biodiversité exceptionnelle du Parc et les écosystèmes associés. Photo Léa Carron - SPNMCP.

Les objectifs des campagnes de suivi « oiseaux marins »

  • Réaliser le recensement des populations d’oiseaux marins reproductrices au niveau des îles et îlots coralliens du parc naturel de la mer de Corail. Ces suivis sont réalisés selon des méthodologies de terrain éprouvées et testées ces dernières années sur ces mêmes sites.
  • Tester et évaluer la mise en œuvre en situations réelles de méthodes innovantes complémentaires (comptage sur photographies prises via des vols de drones) permettant possiblement de minimiser le temps de l’équipe sur le terrain et le dérangement occasionné, comparativement aux méthodologies classiques. Les tests préliminaires de vols de drones réalisés au niveau des colonies d’oiseaux marins des îlots coralliens des lagons Sud et Nord ou des Chesterfield ces dernières années ont permis de valider la pertinence de la méthode et son innocuité pour les oiseaux (très peu voire pas de réaction pour des vols supérieurs à 40 ou 50 m d’altitude).
  • Finaliser et mettre à disposition du service du parc naturel de la mer de Corail et de la pêche, une base de données rassemblant l’ensemble des données d’inventaire et de recensement d’oiseaux marins sur les îles coralliennes du Parc, disponibles depuis 30 ans. L’organisation des différents champs de la base de données permettra d’intégrer les résultats issus des prochains suivis triennaux qui vont être initiés via un formulaire standardisé de collecte d’informations (espèces, effectifs, stades reproducteurs).
  • Réaliser et diffuser un guide technique opérationnel dédié aux suivis des oiseaux marins des îles coralliennes du parc naturel de la mer de Corail également applicable à l’ensemble des îlots coralliens des lagons de Nouvelle-Calédonie, avec l’ambition de fournir les outils permettant d’homogénéiser ces suivis et la bancarisation des données à l’échelle des îles coralliennes du pays (parc naturel de la mer de Corail, Grand Lagon Sud, Lagon Nord-Ouest, Lagon Côte Est, archipels des Pléiades, etc..). Ces travaux seront complétés par l’organisation d’un atelier conjoint de formation qui sera proposé à l’ensemble des acteurs de terrain (agents du Parc, gardes nature, associations, etc.), de façon à disposer d’un personnel local formé et opérationnel pour appliquer un protocole de terrain homogène et une bancarisation de données similaire.

Les participants au projet

  • Éric Vidal, directeur de recherche IRD, UMR ENTROPIE (coordinateur du projet) ;
  • Pascal Dumas, maître de Conférences UNC, UMR ESPACE-Dev (cartographie et recensement, images drones) ;
  • Alexandre Millon, maître de Conférences AMU, UMR IMBE (démographie des populations de vertébrés) ;
  • Tristan Berr, doctorant IRD/UNC, UMR Entropie (écologie et conservation des oiseaux marins) ;
  • Hélène de Méringo, ingénieur d’étude CNRS, UMR IMBE, Aix-en-Provence (protocoles de terrain et base de données) ;
  • Alrick Dias, ingénieur d’étude CNRS, UMR IMBE, Aix-en-Provence (programmation et base de données) ;
  • Sylvie Fiat, ingénieur d’étude IRD, UMR ENTROPIE (programmation et base de données) ;
  • au sein du service du parc naturel de la mer de Corail et de la pêche, le dossier est suivi par  François Le Borgne, Chargé de la science, et Maële Brisset, chargée de mission.