Bilan de santé satisfaisant pour les fonds meubles des atolls d’Entrecasteaux

17 décembre 2021

Science

Le programme HaPéRO (étude des Habitats Péri‐Récifaux évalués par Observation vidéo), mené par l’UNC et VISIOON; s'intéresse aux fonds meubles des atolls d'Entrecasteaux. UNC-Visioon, 2021.

Le programme HaPéRO (étude des Habitats Péri‐Récifaux évalués par Observation vidéo), mené par l’UNC et VISIOON; s'intéresse aux fonds meubles des atolls d'Entrecasteaux. UNC-Visioon, 2021.

Un état des lieux des fonds meubles des atolls et récifs d’Entrecasteaux, commandité par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, a été réalisé par une équipe de l’université de la Nouvelle-Calédonie. Parmi les habitats qui composent cet écosystème marin exceptionnel par sa biodiversité et sa richesse écologique, les fonds meubles jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement écologique de la zone.

Dans le cadre du programme HaPéRO (étude des Habitats Péri‐Récifaux évalués par Observation vidéo), une équipe de chercheurs de l’UNC et de la startup VISIOON s’est rendue, dans les réserves naturelles et intégrales d’Entrecasteaux, afin d’établir un état des lieux des communautés biologiques et de l’habitat des fonds meubles. L’équipe constituée de Delphine Mallet, Gaylord Galinié, Noeline Lanos, coordonnée par Laurent Wantiez, s’est rendue dans la zone, du 30 août au 10 septembre 2021, à bord de l’Amborella, le navire multimission de la Nouvelle-Calédonie. Durant ces 12 jours de campagne, ils ont exploré, malgré des conditions météorologiques difficiles, l’île de la Surprise, Huon, les récifs Guilbert, Pelotas, Mérite et Portail. Objectif : dresser le bilan de santé de la macrofaune mobile (poissons, serpents, tortues, raies, requins, dauphins…) et de son environnement, afin d’adapter, au besoin, les mesures de gestion.

 

Observation vidéo

 

Des caméras à 360° (non appâtées) ont été réparties sur trois types de fonds meubles : nu (fonds sableux), végétalisé (herbiers) et mixte – sur un total de 172 stations. Ces habitats, constitués principalement de sédiments mobiles – sables, graviers, débris de coquilles et vases plus ou moins végétalisés –, offrent des zones de reproduction et de croissance à une multitude d’espèces marines. Les invertébrés benthiques qui y vivent, comme les mollusques, les crustacés, etc., servent de nourriture à de très nombreux poissons et oiseaux marins, contribuant ainsi à l’équilibre global de l’écosystème et à cette diversité écologique remarquable.

 

RUV 360 utilisée pour l'étude des fonds meubles. UNC - Visioon, 2021

Une biodiversité unique, mais fragile

 

Cependant, cette richesse est également synonyme de vulnérabilité. Site protégé, les fonds meubles d’Entrecasteaux sont en principe épargnés par les activités humaines, telles que la pêche intensive, mais peuvent subir les conséquences du changement climatique, en particulier le réchauffement des eaux et l’acidification des océans. Les déchets, les engrais chimiques et les hydrocarbures figurent, en général, parmi les principaux polluants qui altèrent ces écosystèmes sensibles. Ces atolls éloignés n’y sont pas ou peu exposés.

 

L'équipe de la mission d'étude des fonds meubles. UNC-Visioon, 2021.

Un bilan satisfaisant

 

Au retour de la mission, les analyses des vidéos ont montré que le sédiment nu est le substrat qui domine, avec un recouvrement supérieur à 90 % sur 100 stations (soit 58 %). Au total, 159 espèces de poissons appartenant à 32 familles, dont 53 espèces prisées pour la pêche, ont pu y être observées. La macrofaune mobile est globalement structurée en fonction de l’habitat, avec une richesse et une densité maximale sur les fonds mixtes et des communautés plus similaires et moins riches sur les fonds nus et végétalisés.

Les caméras ont capturé des images d’espèces emblématiques, dont quatre espèces de requins, des carangues grosse-tête, des raies, des tortues et même des dauphins.

Huon et Surprise sont, en outre, caractérisés par une forte diversité d’espèces de serpents marins : six sur les quinze observées en Nouvelle-Calédonie.

D’un point de vue général, les fonds meubles des récifs d’Entrecasteaux présentent une biodiversité importante dont les caractéristiques et l’organisation sont conformes à ce qui est attendu pour des atolls océaniques isolés.

Il en ressort que la richesse spécifique de ces sites est significativement supérieure à celle d’autres fonds meubles échantillonnés sur la Grande Terre (dans la zone Touho-Poindimié et à Nouméa), ce qui permet de les qualifier « d’habitats très préservés ».

Ces réserves bénéficiant d’un statut de protection élevé où la pêche est interdite sont peu soumises aux impacts anthropiques directs : ce qui explique que de nombreuses espèces de poissons sont observées, dont de nombreuses espèces commerciales. Les requins et les serpents marins sont également plus fréquemment observés sur les fonds meubles des atolls d’Entrecasteaux qu’autour de la Grande Terre.

Autour de l’île de la Surprise et de Huon, les apports nutritifs des fonds marins sont assurés par leur végétation terrestre et de nombreuses colonies d’oiseaux. Dans ces deux grands atolls, ces apports contribuent à la présence d’herbiers sous-marins (considérés comme très peu fréquents dans le Parc).

 

Perspectives et recommandations

 

Si les fonds meubles des récifs d’Entrecasteaux ne présentent pas de valeur patrimoniale spécifique (caractéristiques uniques et exceptionnelles), ils ont un « rôle fonctionnel clé » dans le paysage récifo-lagonaire, notamment pour les récifs coralliens, qui, eux, présentent une valeur exceptionnelle.

« Aujourd’hui, il n’y a pas de risque de conservation majeur pour les fonds meubles des récifs d’Entrecasteaux en raison de leur éloignement et grâce aux mesures de protection existantes », explique le rapport. Mais pour préserver durablement ces habitats vitaux dans cet état, il est essentiel de maintenir des mesures de conservation adaptées et de suivre leurs évolutions.

De plus, des efforts accrus en matière de recherche sont nécessaires pour mieux comprendre les dynamiques écologiques et anticiper les impacts futurs du changement climatique.

Les chercheurs soulignent qu’il serait intéressant de programmer un échantillonnage régulier sur un ensemble de stations représentatives des différents atolls et des différents habitats pour vérifier que cet écosystème est conservé. Leur protection est une priorité pour garantir la pérennité de cette biodiversité unique.

 

*Cette étude a été réalisée à la demande du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie dans le cadre de l’acquisition de connaissances scientifiques permettant de prendre des mesures de gestion éclairées et adaptées aux enjeux (sous objectif 34 du plan de gestion, avec le co-financement de l’Office français de la biodiversité.

Une technique d’échantillonnage qui a fait ses preuves

 

Les fonds meubles ont été étudiés à partir d'observations réalisées à l’aide de systèmes vidéo (RUV 360), opérés par Visioon, une startup de la French Tech, spécialisée dans le traitement de l'image et de la vidéo de la biodiversité marine.

À chaque station, une caméra avec un objectif sphérique à 360° dans un caisson étanche fixé sur un trépied est immergée depuis un bateau. Elle filme pendant 17 min, ce qui permet d’inventorier a minima 95 % de la richesse spécifique théorique. Cette technique permet d’échantillonner la macrofaune mobile des fonds meubles de façon standardisée. Elle permet de calculer des indices globaux représentatifs et comparables dans l’espace et dans le temps (richesse spécifique, abondance). Elle est également suffisamment discriminante pour identifier les différents types d’habitat et la structure des assemblages de poissons en lien avec la typologie de l’habitat. Les limites de cette technique sont la visibilité (5 m de visibilité minimum requis), un relief du fond marin trop accidenté, un hydrodynamisme trop important (seuil lié au lest utilisé) et la profondeur (maximum 60 m avec le matériel utilisé).

 

Sites d'échantillonnage de l'étude des fonds meubles d'Entrecasteaux. UNC-Visoon.

Poissons des fonds meubles : une diversité remarquable

 

Au total, 159 espèces de poissons (2269 poissons) appartenant à 32 familles ont été recensées sur les fonds meubles d’Entrecasteaux :

  • Labridae (labres) : 19 espèces.
  • Acanthuridae (chirurgiens et nasons) : 15 espèces.
  • Pomacentridae (demoiselles) : 12 espèces.
  • Lethrinidae (bossus et becs de cane) : 11 espèces.
  • Mullidae (rougets-barbets) : 11 espèces.
  • Carangidae (carangues) : 10 espèces.
  • Scaridae (perroquets) : 10 espèces.

 

Les familles les plus fréquemment observées sont :

  • les Lutjanidae (lutjans) : 42,4 % des stations.
  • les Lethrinidae (bossus et becs de cane) : 37,2 % des stations.

 

Au total, 53 espèces (799) sont des espèces commerciales (prisées pour la pêche) : carangues, bossus, dawas, saumonées, loches grisettes, mékouas…

 

**Données issues du rapport : Mallet D., Galinié G., Lanos N., Goiran C., Wantiez L. (2022). « Communautés biologiques et habitats des fonds meubles des atolls d’Entrecasteaux. État des lieux 2021. » Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, Université de la Nouvelle-Calédonie, VISIOON.